Article
Sud-Ouest du 29 septembre 2005
(Bertrand Ruiz)
La grogne enfle,
haro sur la LGV !
Plus de 700 personnes étaient présentes, hier
soir à Langon,
pour le débat public sur la ligne à grande vitesse
(LGV)
entre Bordeaux et Toulouse.
Kim Régnier se souviendra
de ses deux passages à Langon. Que ce soit lors du
débat public du 15 septembre ou celui d'hier soir,
le directeur de Réseau ferré de France pour la région
Midi-Pyrénées a été régulièrement conspué par une
salle farouchement opposée à la construction d'une
ligne TGV entre Bordeaux et Toulouse.
« Les Corses ont su préserver leur littoral, nous
saurons préserver notre pays », « pour faire votre
LGV, il faudra passer sur nos corps »... Ambiance
électrique jusque tard dans la soirée et volée de
bois vert constante pour les porteurs du projet qui
ne trouvent aucun appui en Sud-Gironde.
Un
projet, trois scénarios.
La LGV (ligne à grande vitesse) Bordeaux-Toulouse
pourrait voir le jour à l'horizon 2015. En Gironde,
trois scénarios sont à l'étude. - Le premier fait
passer le TGV sur la rive droite de la Garonne, dans
une zone fournie en habitations. - Le second permet
à la ligne de longer le corridor de l'A 62, dans le
vignoble des Graves et du Sauternais. - Le troisième
pique vers le sud, en pleine forêt, passe entre Villandraut
et Saint-Symphorien, aboutit à Captieux, avant de
remonter sur Agen. La carte des trois options du projet
Selon le dossier de RFF, ce troisième scénario « semble
présenter une sensibilité moindre » et se révèle «
nettement plus économique que les deux autres » (2,9
milliards d'euros contre 3,4 milliards d'euros pour
les deux premiers). Autre avantage retenu : la possibilité
de greffer la future ligne Bordeaux-Irun sur la boucle
de Captieux. Pour les Sud-Girondins, l'allusion est
à peine voilée. La troisième option aurait la préférence
du maître d'ouvrage, les deux autres options ne seraient
que des « alibis ». Une réaction que Kim Régnier bat
en brèche avec grande difficulté.
Un
territoire « sacrifié »
Cette façon de présenter le troisième scénario comme
le plus avantageux n'a pas échappé aux élus et associations
des landes girondines, pour qui l'aménagement de la
voie existante ou la réactivation du projet pendulaire
sur la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse restent
les seules solutions acceptables. Cet été, du côté
de Saint-Symphorien, Captieux ou Villandraut, puis
dans les Graves, à La Brède, Ayguemortes ou Saint-Morillon,
la mobilisation anti-LGV a pris corps autour d'associations
et d'élus locaux désappointés de voir débouler un
tel projet aux portes de leurs communes.
Les arguments ne manquent pas : catastrophe économique
pour les sylviculteurs, atteinte à l'équilibre d'un
écosystème fragile, chamboulement du cadre de vie
ou de la chasse, remise en question du système de
défense contre les incendies et augmentation certaine
des risques de feu en forêt. Des arguments confirmés,
hier soir, par les intervenants de la Chambre d'agriculture,
du Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest et de la
DFCI. Jean-Luc Gleyze, conseiller général du canton
de Captieux, résume la situation en quelques mots
(« vous nous enlevez le fondement de notre qualité
de vie ») avant de renvoyer RFF à l'entretien « urgent
» du réseau existant... Dans la salle, les interventions
sont unanimes : oui au rail quand il est justifié,
non à une LGV Bordeaux-Toulouse quel que soit le tracé.
Un
chantier très politique.
Marie-Hélène des Esgaulx avait été la première à replacer
le débat dans le contexte de la ligne Sud-Europe Atlantique
(1) entre Paris et Irun, indispensable aux yeux des
élus aquitains, notamment en matière de ferroutage.
« Lors du CIADT de décembre 2003, la ligne Bordeaux-Irun
a toujours été prioritaire (2), martèle fréquemment
la députée UMP. C'est pour cela que je demande à ce
que la décision de RFF sur la liaison Bordeaux-Toulouse
soit suspendue jusqu'après la clôture du débat sur
la liaison Bordeaux-Irun prévu en 2006. Il n'y aura
de toute façon pas assez d'argent pour les deux chantiers.
» En Gironde, beaucoup d'élus partagent cette opinion,
font part de leur incrédulité face à cette inversion
des priorités et soupçonnent leurs homologues de la
région Midi-Pyrénées d'avoir mis tout leur poids politique
dans la balance. S'il estime qu'il ne faut pas opposer
les deux projets, Alain Rousset évoquait récemment
« l'activisme de Philippe Douste-Blazy ». Le socialiste
François Deluga, vice-président du Parc naturel régional
écorné par l'option Sud du tracé, dénonce « une manoeuvre
du gouvernement UMP pour permettre au maire de Toulouse,
en difficulté électorale, d'annoncer, avant les élections
municipales, l'arrivée du TGV dans sa ville ».
Hier soir, l'intervention de Jean-Louis Carrère était
plus nuancée sur l'opportunité d'une ligne TGV Bordeaux-Toulouse
(« ne balayez pas le TGV d'un revers de main »). Le
vice-président du Conseil régional demandait toutefois
à RFF de repousser son verdict sur la liaison Bordeaux-Toulouse
après le débat public prioritaire sur la liaison Bordeaux-Irun.
Des réactions très politiques qui ne doivent pas masquer
l'inquiétude sincère d'une grande partie de la population
sud-girondine de plus en plus remontée contre le projet.
(1)
Les travaux entre Bordeaux et Angoulême devraient
être achevés en 2013, ceux entre Angoulême et Tours
en 2012. (2) Le CIADT de décembre 2003 souhaitait
reporter la décision sur la ligne TGV Toulouse-Bordeaux
à 2025. « C'est un coup de pied au cul », avait affirmé,
à l'époque, Martin Malvy, le président de la région
Midi-Pyrénées.
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